Archive : La réception du général Eisenhower

Une archive à la loupe

En novembre 1944, la commune de Schaerbeek rebaptise l’avenue des Hortensias en avenue général Eisenhower, du nom du chef des armées alliées qui ont libéré Bruxelles deux mois auparavant. Retenu alors par des obligations militaires - la guerre n’est pas terminée - Eisenhower ne peut être présent lors de l’inauguration et est représenté par l’ambassadeur des États-Unis. Moins d’un an plus tard, Bruxelles et Schaerbeek peuvent enfin lui rendre l’hommage qu’il mérite.

« Ike »

Avant de devenir le 34e président des États-Unis avec deux mandats consécutifs (1953-1961), Dwight David Eisenhower, surnommé Ike, a eu une glorieuse carrière militaire. Pendant la Première Guerre mondiale, il instruit de jeunes recrues destinées à être envoyées au front. Malgré ses demandes, il n’est pas envoyé en Europe pour participer directement au conflit.

Dans l’entre-deux-guerres, il continue son ascension militaire. Devenu général pendant la Deuxième Guerre mondiale, il commande des opérations militaires en Europe et en Afrique du Nord. Il participe également à la planification du débarquement en Normandie.

Portrait du général Eisenhower

Tournée triomphale

Après la capitulation du régime nazi, le 8 mai 1945, les grandes villes européennes désirent rendre hommage aux héros libérateurs. Plusieurs grands généraux anglais et américains sont ainsi accueillis triomphalement par des foules en liesse, et sont décorés des plus hautes distinctions nationales. Ainsi, avant de venir en Belgique, Eisenhower a déjà été reçu, entre autres, à Reims le (12 mai), à Londres le 12 juin), à Paris le 14 juin) ou encore à Belfast le 24 août).

L’accueil à Bruxelles

Le jeudi 6 septembre 1945, presque un an jour pour jour après la libération de Bruxelles le 3 septembre 1944, le général Eisenhower et le lieutenant-général Bedell Smith, qui l’accompagne, débarquent de Francfort à 10h30 à la gare du Midi. Ils sont accueillis par le ministre de la Défense, Léon Mundeleer.

En cortège automobile, ils se rendent d’abord à l’ambassade des États-Unis, où a lieu une petite réception intime. Le cortège se dirige ensuite au ministère des Affaires étrangères où le général est accueilli par le Premier Ministre, Achille Van Acker, puis un hommage est rendu au Soldat inconnu, place du Congrès.

Au Palais royal, le ministre de la Défense décore Eisenhower du grand cordon de l’ordre de Léopold, au nom du prince Charles (régent pendant l’exil du roi Léopold III). À la suite de cela, une cérémonie se déroule à l’Hôtel de ville de Bruxelles et le général peut saluer du balcon la foule amassée sur la Grand Place. Le général et sa suite se dirigent ensuite vers Schaerbeek.

Le général à Bruxelles-Ville (extrait de journal)

L’hommage de Schaerbeek devant l’hôtel communal

À 16h30, Eisenhower arrive par la rue Royale et est reçu devant l’église Sainte-Marie par le bourgmestre de Schaerbeek, Arthur Dejase.

Affiche d’annonce

Le cortège empreinte la rue Royale-Sainte-Marie jusqu’à l’Hôtel communal. Le général et tous les officiels présents (présidents de la Chambre et du Sénat, ambassadeurs ou représentants d’ambassades conviés, ministres, bourgmestres de l’agglomération bruxelloise, conseillers communaux et membres du collège schaerbeekois), se placent sur le perron pour écouter les hymnes américain, anglais, russe, français et belge chantés par des jeunes filles des écoles schaerbeekoises. Suit un défilé des écoles officielles et libres, ainsi que de délégations de sociétés et organisations diverses avec leurs drapeaux.

 
Le général sur le perron
Le général sur le perron

Citoyen d’honneur

Après ces solennités, le général et les invités entrent dans la salle des Mariages et du Conseil pour entendre les discours du bourgmestre Dejase et du général (extraits ci-dessous). Une épée et un diplôme de citoyen d’honneur de la commune sont remis à Eisenhower. La commune offre également au lieutenant-général Smith un livre d’eaux-fortes, des gravures réalisées par Maurice Blieck, représentant des vieux coins de Schaerbeek. Avant de partir, un vin d’honneur est offert et le général signe le livre d’or dans le cabinet du Bourgmestre.

 
Discours du bourgmestre Dejase
Remise de l’épée

L’épée de Van Dionant

L’épée offerte par la commune de Schaerbeek est un symbole significatif de l’admiration que les élus portent au grand militaire qu’est Eisenhower.

Réalisée par Carlos Van Dionant (1899-1969), médailleur schaerbeekois, elle est présentée au général dans un écrin brodé aux couleurs du Supreme Headquarters Allied Expeditionnary Forces (S.H.A.E.F.) dont Eisenhower est le commandant en chef et dont le blason figure justement une épée flamboyante. Elle porte l’inscription « Au grand vainqueur, le général Dwight D. Eisenhower, Commandant Suprême des Forces Expéditionnaires Alliées. La commune de Schaerbeek reconnaissante ».

Dionant à côté de l’épée

L’histoire ne nous dit pas ce qu’est devenue cette épée depuis sa remise au général. La commune de Schaerbeek a cependant conservé un dessin en taille réelle de l’épée.

 
Lettre de Van Dionant
Dessin de l’épée
 

Retranscription d’une lettre de Van Dionant :

Cher Monsieur Degreef [ndlr : secrétaire du Bourgmestre]

Ci-joint le dessin (grandeur d’exécution) de l’épée pour le général Eisenhower. Les étoiles ne sont pas terminées, j’attends un mot du général pour me dire comment il les désire (plates, courbées ou à sections). Que pensez-vous des armoiries ? La couronne à six perles est une couronne que l’on employait pour les villes et communes comptant plusieurs milliers d’habitants. La couronne est au crayon, je puis donc, si nécessaire, l’enlever ; mais ce serait dommage.

Dans l’attente de vos bonnes nouvelles, veuillez me croire, cher Monsieur Degreef, bien cordialement vôtre.

C. Van Dionant

Discours (extraits)

Nous vous présentons, ci-dessous, des extraits des discours prononcés par le bourgmestre Arthur Dejase et par le général Eisenhower lors de cette cérémonie du 6 septembre 1945 à l’Hôtel communal de Schaerbeek.

Bourgmestre Dejase

Monsieur le Général,

Pour notre Cité, ce jour marquera une date inoubliable. Dans cette salle, une inscription commémorative rappellera aux générations futures qu’ici, le 6 septembre 1945, le grand général Eisenhower a daigné accepter l’hommage de notre Population et le titre de Citoyen d’honneur de Schaerbeek. (…) Grâce à l’effort gigantesque des Alliés, grâce au courage héroïque de vos soldats, grâce à votre génie militaire, la Victoire des Démocraties a triomphé complètement. La Liberté et la Paix règnent à nouveau sur le Monde. Après la glorieuse libération de notre pays, l’hitlérisme expirant tenta une dernière agression en envahissant à nouveau nos Ardennes. Heureusement, vous étiez là. Vous avez appris à von Runstedt ce que coûte une offensive présomptueuse. Vous n’avez pas tardé à refouler l’ennemi avec ce mot d’ordre : « Et, cette fois, jusqu’à Berlin ». Nous vous avions déjà exprimé notre admiration en vous dédiant, dès le lendemain de la libération, une des principales avenues de notre cité et vous avez bien voulu nous faire l’honneur d’agréer cet hommage. Nous en avons été profondément touchés et nous vous remercions du fond du cœur. Nous rappelons avec fierté que notre Population a vaillamment opposé à l’ennemi une résistance inébranlable. Des centaines de nos concitoyens sont morts pour la Patrie et ont enduré les pires souffrances dans les bagnes nazis. De nombreux aviateurs américains, tombés dans les lignes ennemies, ont été cachés et sauvés, à Schaerbeek, au prix des plus grands dangers. Je crois pouvoir affirmer que nous sommes dignes les uns des autres. C’est dans cet esprit que nous vous exprimons à nouveau notre gratitude et notre profonde admiration. (…)

[Partie prononcée en anglais]

Au nom de la population et des autorités de Schaerbeek, je vous prie d’accepter nos remerciements respectueux pour l’honneur que vous avez bien voulu donner à notre ville par votre illustre présence. En acceptant cette épée d’honneur que nous vous présentons, vous nous accordez une marque de votre estime qui nous remplit d’un grand sentiment de fierté et d’enthousiasme.

Longue vie au grand général vainqueur Eisenhower

Longue vie au Président Truman

Longue vie aux États-Unis d’Amérique

Général Eisenhower [traduit de l’anglais]

Monsieur le Bourgmestre,

Ceci est vraiment un présent qui doit réchauffer le cœur de tout soldat. C’est l’antique emblème de sa profession et sa présentation montre de la part de la population de cette héroïque cité la satisfaction qu’elle éprouve du rôle que j’ai été appelé à jouer dans cette guerre. J’en suis profondément reconnaissant. Et pourtant, je ne puis considérer l’offre de cette épée comme un symbole purement personnel ; c’est le symbole le plus honorifique que l’on puisse offrir à un soldat ; mais je ne l’accepte pas pour moi seul mais au nom de tous les soldats alliés. (…) Mais pour moi cette épée a une autre signification. Elle fut forgée en temps de paix ; la dextérité professionnelle, la patience, l’amour avec lesquels elle fut fabriquée font qu’elle n’est pas réellement une production de guerre ; c’est une production de paix, la paix que vos morts des mouvements de la Résistance, les morts de nos armées, de nos marins, de nos forces de l’air ont gagnée et que nous devons préserver. Dans cette épée fut créé le but de nos forces alliées, l’état-major allié que j’eus l’honneur de diriger ; cet état-major était basé sur l’unisson des volontés, sur le bannissement d’intérêts égoïstes, en faveur du bien de tous. (…) Dans cette épée, je vois le symbole de la résolution de Schaerbeek à marcher aux côtés de cette armée puissante, de cet amalgame de volontés humaines qui préservera à jamais la paix. De la part de mon chef d’état-major [ndlr : le lieutenant-général Smith qui l’accompagne] et de moi-même, je vous remercie d’un tel hommage, unique dans une vie d’homme. (…)

Vous souhaitez en savoir plus ?

Contacter le service des Archives communales : archives@schaerbeek.irisnet.be

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